Thrash à 300 km/heure : retour sur la genèse de l'ouragan

1986 était déjà une année solide pour le metal. Le "Master of Puppets" de Metallica avait montré que le thrash pouvait être à la fois brutal et sophistiqué. Megadeth sortait "Peace Sells… But Who’s Buying?" pour prouver qu’ils n’étaient pas en reste. Mais voilà qu’arrive un quatuor californien avec une idée simple et géniale : « Accélérons tout, mais genre, vraiment tout. »

Slayer, composé de Kerry King et Jeff Hanneman aux guitares, Tom Araya à la basse et au chant, et Dave Lombardo derrière les fûts, n’en était pas à son coup d’essai. Après "Show No Mercy" (1983) et "Hell Awaits" (1985), le groupe avait déjà l’image d’une machine à riffs infernale qui avait un goût prononcé pour le morbide. Mais avec "Reign in Blood", aidé par le producteur Rick Rubin (oui, ce même Rick Rubin qui allait bosser avec les Beastie Boys et Johnny Cash), Slayer allait transcender les limites.

Une durée choc : 29 minutes de chaos pur

L’une des choses qui frappe en premier : la durée. "Reign in Blood", c’est un album qui tient en 29 petites minutes. À l’époque, ça a de quoi surprendre. Quand des groupes de prog enchaînent de longues épopées et que même dans le thrash, certaines chansons dépassent les 6-7 minutes, Slayer fait l’inverse : tout est condensé, net, sans perdre une seule seconde. Pas d'intro superflue, pas de solo pour faire joli. Ça rentre dans le vif du sujet, et ça ne lâche pas avant la fin.

Démarrer un album avec "Angel of Death" donne tout de suite le ton. Un cri signature de Tom Araya sur une double-pédale de Lombardo fonçant comme un train déchaîné, puis un riff d’ouverture qui est toujours, à ce jour, une des plus grandes tueries musicales dans l’histoire du metal. Quant à "Raining Blood", qui clôture l’album avec ses coups de tonnerre, il en reste un des hymnes ultimes du genre. Deux monuments qui enferment un véritable maelström.

La production : quand Rubin libère la bête

Une partie de l’impact de "Reign in Blood" vient de sa production, assurée par Rick Rubin. Rubin a pris le chaos contrôlé de Slayer et l’a poli, sans jamais le brider. Contrairement aux productions parfois "brouillonnes" typiques du thrash des premiers jours, ici, chaque instrument ressort avec une clarté terrifiante.

Les guitares de King et Hanneman tranchent dans le vif tel un scalpel. La basse de Tom Araya, souvent mise de côté dans beaucoup d’albums de thrash, a une profondeur menaçante. Et cette batterie… Oh bon sang, Dave Lombardo livre ici une performance titanesque. Pas pour rien qu’on l’appelle "le Dieu de la double-pédale". Rubin a capté toute cette intensité dans un mix qui respire à la fois la violence et la précision.

Les paroles : un plongeon dans l’abîme

Si Slayer a toujours flirté avec le morbide, "Reign in Blood" est l’apogée de leur exploration des thèmes les plus obscurs et controversés. La chanson qui cristallise cela est évidemment "Angel of Death". Ce morceau raconte, sans fard ni pathos, les atrocités du tristement célèbre médecin nazi Josef Mengele.

Ce qui a déclenché la polémique à sa sortie, c'est l'absence de jugement explicite dans les paroles. Beaucoup ont accusé Slayer d'être sympathisants nazis, ce que le groupe a toujours catégoriquement nié. Kerry King a expliqué que le but n’était pas de glorifier Mengele, mais de documenter l’horreur sans filtre. L’art, brut. Et il faut bien avouer que face à cette honnêteté glaciale, "Angel of Death" frappe là où ça fait mal.

Les autres morceaux ne sont pas en reste : hallucinations, meurtres, visions d’apocalypse – du Slayer tout craché. Là où d’autres groupes utilisaient le gore et le sombre comme des gimmicks, Slayer y allait à fond, réelle signature d’une vision nihiliste.

L’impact sur le thrash et au-delà

"Reign in Blood", c’est un peu la météorite qui a frappé le monde du thrash metal en cette année 1986. D’abord, il a accéléré tout le genre. Les morceaux courts, compacts, abrasifs ? Beaucoup de groupes s’en sont inspirés. L’idée que la vitesse et l’intensité pouvaient être émancipées de constructions complexes mais sans jamais paraître bêtifiantes a marqué les esprits.

Mais l’impact ne s’est pas arrêté au thrash. Des sous-genres entiers ont poussé sous sa très sombre ombre. Des groupes de death metal comme Morbid Angel ou Cannibal Corpse se sont inspirés du son de Slayer, et même les pionniers du black metal ont rappelé à quel point "Reign in Blood" avait posé les bases du riffing impitoyable et du chaos sonique.

Anecdotes marquantes sur un album légendaire

  • La pochette : l’œuvre infernale de Larry Carroll (qui collaborera avec Slayer sur plusieurs albums) est une sorte de tableau surréaliste démoniaque, parfait reflet de la brutalité de l'album.
  • Un boycott au Royaume-Uni : Columbia, qui distribuait Def Jam, a refusé de sortir l’album à cause de ses textes jugés trop sulfureux. C’est finalement Geffen Records qui en assurera la distribution.
  • Un album trop court ? À la sortie, certains critiques se sont plaints de ne pas "en avoir assez pour leur argent". Quand Rubin a proposé au groupe d’allonger l’album, Kerry King aurait simplement répondu : « Non, il est parfait comme ça. »

"Reign in Blood" : Une leçon de violence maîtrisée

38 ans après sa sortie, "Reign in Blood" reste une pierre angulaire de la musique extrême. Personne, même dans le thrash le plus moderne, n’a réussi à reproduire précisément ce cocktail de pure intensité, de vitesse démente et de songwriting brutalement efficace. Alors, si pour une raison obscène, cet album manque encore dans votre discographie, mettez pause à tout ce que vous faites, et plongez dans ce monument sonore.

Parce qu’on peut débattre longtemps sur le thrash et ses origines, sur la violence dans le metal ou sur l’impact de la musique extrême. Mais quand on parle de "Reign in Blood", il n’y a qu’une chose à faire : monter le volume. Fort. Très fort.

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