Ved Buens Ende : Qui sont ces fantômes ?

Ved Buens Ende naît au début des années 90 en Norvège, au moment où la scène black metal brûle littéralement dans tous les sens (salut à l’église de Fantoft). Mais là où d’autres groupes (Mayhem, Darkthrone, ou Emperor) cultivaient les blasts infernaux, la violence brute et une imagerie religieusement controversée, Ved Buens Ende décide de prendre une tangente radicale. Formé par Vicotnik (batterie, mais aussi membre de Dødheimsgard) et Carl-Michael Eide (alias Czral, à la guitare et au chant), le groupe se démarque dès le départ avec son approche expérimentale.

Et attention, on ne parle pas juste d’enjoliver le black metal avec une couche de clavier flippant ou deux arpèges dissonants. Non, Ved Buens Ende s’aventure dans des terrains inconnus bien loin des tremolo-pickings sataniques classiques. Tout dans leur son semble conçu pour désarçonner : riffs tordus, structures sans logique apparente, chant hybride qui oscille entre murmures incantatoires et cris menaçants. Black metal ? Oui et non. Ce qu’ils ont pondu, c’est autre chose. Une sorte de fusion maladive (dans le bon sens) entre le black, le jazz, le prog et une musique atmosphérique complètement barrée.

Un album hors du temps : Written in Waters

Sorti en 1995 sous le label Misanthropy Records (la maison aussi responsable des premiers Burzum, pour situer), "Written in Waters" est l’unique épisode studio de Ved Buens Ende. Et quel épisode ! Dès les premières notes de "I Sang For The Swans", tu te rends compte que tu es entré dans un autre monde. Ici, pas de murs de blast beats incessants, pas de riffs saturés façon tronçonneuse. A la place, des guitares dissonantes semblables à des incantations, une basse sinueuse qui ne se contente pas d’accompagner mais dialogue avec les riffs, et une batterie presque improvisée qui fait plus penser au free jazz qu’au black metal traditionnel.

En vrac, voici quelques éléments qui rendent cet album unique :

  • Une approche dissonante révolutionnaire : Les riffs tordus, souvent atonaux, préfigurent les expérimentations de groupes comme Deathspell Omega ou Blut Aus Nord dans les années 2000.
  • Un chant totalement imprévisible : Czral ne se limite pas aux screams black classiques. Il déclame, il chante, il murmure, il crie avec un ton théâtral qui n’a pas d’équivalent dans la scène à l’époque.
  • Des compositions labyrinthiques : Les morceaux s’enchaînent comme des rêves lucides. Pas de couplet-refrain ici, juste une succession de mouvements imprévisibles.
  • Des influences pourtant extérieures au black : Jazz, avant-prog des années 70 (King Crimson peut-être ?), et une atmosphère qui rappelle par moments le post-punk de groupes comme Joy Division.

En clair, "Written in Waters" refuse catégoriquement d’être "classable". Et évidemment, pour une scène black metal encore ancrée dans un minimalisme brutale et une orthodoxie sonore, c’est tout sauf mainstream.

Pourquoi un tel joyau est resté dans l’ombre ?

Avec tout ce que je viens de balancer, une question se pose : pourquoi personne (à part les vrais illuminés du genre) ne parle de cet album incroyable ? Là aussi, plusieurs raisons expliquent cet injuste anonymat.

1. Coincé entre deux époques

Le black metal des années 90 est en pleine mutation. D’un côté, tu as la vague norvégienne "classique", avec ses figures de proue comme Mayhem et Emperor. De l’autre, tu as le début des expérimentations qui émergeront bien plus tard avec l’avant-garde des années 2000 (encore une fois : Deathspell Omega, Blut Aus Nord...). Ved Buens Ende est trop en avance pour être compris par ses pairs, mais pas assez pour surfer sur la vague avant-gardiste qui arrivera après eux.

2. Un manque criant de promotion

Misanthropy Records était un excellent label indépendant avec une mentalité DIY, mais loin d’être une machine promotionnelle. "Written in Waters" n’a jamais bénéficié de la visibilité qu’un album aussi unique aurait mérité. Pas de clip, pas de tournée internationale imposante. Juste quelques dates et un bouche à oreille qui reste confiné à une niche.

3. Intrinsèquement inaccessible

Cet album, aussi génial soit-il, reste un défi. On est loin des hymnes fédérateurs de groupes comme Immortal ou de l’accessibilité mélodique d’In Flames. "Written in Waters" demande une patience et une ouverture d’esprit que peu de fans de metal extrême avaient à l’époque. Le titre lui-même, avec son ton ésotérique, pourrait décourager les curieux.

Un héritage indéniable pour l’avant-garde

Oui, Written in Waters n’a pas marqué les charts (ni même les bacs à soldes, soyons honnêtes). Mais il serait faux de dire qu’il n’a eu aucun impact. Si tu écoutes le black metal avant-gardiste d’aujourd’hui, que ce soit le chaos cosmique de Deathspell Omega, les paysages sonores de Blut Aus Nord, ou les audaces progressives d'Enslaved, tu dois accorder du crédit à Ved Buens Ende.

Un autre détail important : Czral et Vicotnik n’en sont pas restés là. Après la dissolution de Ved Buens Ende, chacun a poursuivi des projets jouant avec les limites des genres comme Dødheimsgard et Virus. On peut clairement voir "Written in Waters" comme la matrice d’un nouveau courant musical qui n’a jamais vraiment porté de nom.

Pourquoi il faut écouter Written in Waters dès maintenant

Tu te demandes toujours si tu dois te plonger dans cet album ? Voici trois bonnes raisons :

  1. Parce que c’est une expérience unique : Rien dans ta collection actuelle ne ressemble à cet album, je peux te le garantir.
  2. Parce qu’il est devenu une référence : Que ce soit chez les groupes ou parmi les fans de black contemporain, "Written in Waters" est cité comme une pierre angulaire par les connaisseurs.
  3. Parce que chaque écoute dévoile de nouvelles dimensions : Cet album vieillit bien, précisément parce qu’il refuse les recettes faciles. À chaque écoute, tu découvres de nouvelles subtilités dans sa structure ou son exécution.

Plongée dans l’inconnu

Écouter "Written in Waters", c’est se rappeler qu’une œuvre peut être un chef-d’œuvre sans plaire à tout le monde. C’est une anomalie sublime, un de ces albums qui transcendent les étiquettes, les visions rigides et les attentes des scènes musicales. Alors oui, Ved Buens Ende n’a jamais explosé. Mais, peut-être, c’est ce qui rend leur œuvre encore plus précieuse : un artefact rare, perdu dans les eaux du passé, mais immortel pour ceux qui plongent assez profond.

Alors, prêt à écrire sur les eaux d’un métal différent ? Une seule solution : écouter.

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