D’emblée, une chose frappe dans Fortitude : le cap émotionnel pris par Gojira. Si les albums précédents, comme From Mars to Sirius ou The Way of All Flesh, semblaient nourris au feu brut de la colère et de la frustration, ce nouvel opus avait en ligne de mire un objectif un peu différent : éveiller les consciences. Pas mal, me direz-vous, mais attendez la suite.
Tout l’album est empreint d’un engagement écologique et sociopolitique assumé. Les frères Duplantier s’arment de leur plume et de leur technique magistrale pour dénoncer la destruction d’un monde qu’ils chérissent. Leur titre "Amazonia", par exemple, n’est pas qu’une claque musicale ; c’est un cri pour sauver l’Amazonie. Gojira y fusionne l’univers sonore tribal avec un groove métallique qui dégage une énergie ancestrale.
Mais voilà, certains fans de la première heure râlent : “Où est la rage brute ? Où sont les vocals déchirants d’un Backbone ?” Ce glissement vers une “spiritualité musicale” fait grincer quelques dents, ça ne fait aucun doute.
Même si les débats font rage, Fortitude se vend comme des petits pains de métal brûlant. Dès sa sortie, il atteint la première place des ventes dans plusieurs pays, et décroche la 12e position au Billboard 200 aux États-Unis (une sacrée performance pour un album metal en langue anglaise dans cette époque où l’on glorifie toujours un peu plus la pop !).
Et ce n’est pas tout. Le single "Amazonia" a récolté près de 300 000 dollars pour des associations œuvrant à la protection des forêts tropicales. La rage d’antan a peut-être évolué, mais la portée sociale de leur musique n’a jamais été aussi palpable.
Vous pensiez que Gojira allait ranger la double pédale et les riffs acérés ? Détrompez-vous. Fortitude reste un chef-d’œuvre technique, même si la brutalité y est parfois adoucie au profit de l'émotion.
Savons-le dire : tout le monde n’accroche pas à Fortitude. Et c’est bien normal. Le problème principal, à mon sens, se situe dans son équilibre. Si des titres comme "Another World" ou "Grind" rappellent le Gojira furieux et incisif qu’on adore, d’autres pistes, plus introspectives, laissent un certain goût d’inachevé.
La construction de l’album, volontairement "montagnes russes", induit un risque : perdre ceux qui cherchent une cohérence ou une énergie constante. On passe d’une lourdeur métallique à des interludes presque méditatifs. Un choix audacieux, mais potentiellement clivant. Les fans d’hymnes massacrants façon Mastodon pourraient décrocher ici.
La grande question est la suivante : cette évolution de Gojira dans Fortitude est-elle une trahison ou une évolution naturelle ? Pour comprendre, il faut regarder vers leurs influences. Gojira n’a jamais été un simple groupe de death metal. Leur musique a toujours été au carrefour de plusieurs genres – du groove de Pantera aux ambiances d’un Devin Townsend.
Le virage pris dans Fortitude est peut-être la réponse à une question essentielle : que faire quand on a (presque) tout démontré techniquement et artistiquement ? Comme Metallica avec Load ou Opeth avec Heritage, Gojira semble avoir choisi l’expérimentation, quitte à en rebuter – pour finalement s’imposer comme un poids lourd capable de réinventer son propre style.
Il faut également prendre en compte que l’industrie du métal elle-même a changé. L’époque où il fallait à tout prix être dans la surenchère est révolue. Aujourd’hui, l’objectif pourrait bien être d'atteindre une maturité artistique totale, et Fortitude semble être un pas dans cette direction.
Fortitude est un album paradoxal. Audacieux, inspiré, mais parfois un peu trop contrôlé. Ceux qui espéraient une nouvelle baffe façon The Art of Dying seront, pour certains, déçus. Mais ceux qui s’ouvrent à l’idée d’un Gojira plus spirituel et introspectif y trouveront une œuvre puissante et pertinente.
Dans tous les cas, Gojira prouve qu’ils restent des pionniers. Que vous aimiez ou pas, une chose est sûre : ils avancent, implacables, et la scène métal mondiale leur appartient encore.
Et vous, prêts à embarquer malgré tout ? Parce qu’on parie qu’ils n’ont pas encore dit leur dernier mot. Les prochains pogos risquent d’être mémorables.